Parcours & Galères
Veiller pendant que les autres dorment
« Cette nuit-là, j’ai compris que grandir trop vite, c’est pas un choix. C’est une obligation. » Y’a des nuits qu’on oublie. Et y’a celles qu’on n’oublie pas. Je devais avoir dix ans, peut-être onze. Ma mère était partie bosser de nuit. Comme souvent. Parce que les fins de mois, elles commençaient le 10. Et qu’on était […]

« Cette nuit-là, j’ai compris que grandir trop vite, c’est pas un choix. C’est une obligation. »
Y’a des nuits qu’on oublie. Et y’a celles qu’on n’oublie pas.
Je devais avoir dix ans, peut-être onze. Ma mère était partie bosser de nuit. Comme souvent. Parce que les fins de mois, elles commençaient le 10. Et qu’on était trop nombreux pour faire semblant.
Ce soir-là, mon petit frère était malade. Vraiment pas bien. Il avait de la fièvre, il grelottait, puis il transpirait. Je savais pas trop quoi faire. J’étais qu’un gamin. Mais j’étais le plus grand, alors j’avais pas le droit de flancher.
Devenir adulte en silence
J’avais mis une bassine près du lit, un torchon humide sur son front, et j’ai passé la nuit à le surveiller. A me relever toutes les heures pour vérifier s’il respirait bien. A lui murmurer que ça allait passer, alors que moi-même, j’y croyais qu’à moitié.
C’était pas une nuit de panique, c’était une nuit de réalité. De responsabilité. Une de celles qui te mettent face à ta condition. Qui te rappellent que t’as pas le luxe d’être juste un enfant.
J’ai rien dit à ma mère le lendemain. Je voulais pas qu’elle culpabilise. Elle se tuait déjà au boulot pour nous donner un minimum. C’était pas à elle de tout porter.
Une fierté discrète
Ce soir-là, y’a pas eu de héros, pas de médailles. Juste un grand frère assis au bord d’un lit, avec le cœur qui bat trop vite, et des pensées trop lourdes pour son âge.
Mais aujourd’hui encore, quand je regarde mon petit frère rigoler comme si de rien était, je me dis que j’ai bien fait de pas dormir cette nuit-là.
Parce que veiller sur ceux qu’on aime, même quand personne regarde, même quand t’as peur… ça, c’est être un homme.